LES FABULEUX VOYAGES D'UN CONTEMPORAIN
 
© Franck de BEAUCÉ
 
Extrait
 
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LES FABULEUX VOYAGES D'UN CONTEMPORAIN
 
1er chapitre
  
 François de Beausire, un contemporain, émerge à l'instant des abysses d'un rêve étrange, récurent. Peu à peu, la réalité voile le mystérieux monde onirique. Son aube sans éclat paraît frêle sur le crépuscule d'un univers à la fois radieux et insolite.
Nostalgique, le rêveur tente en vain de s'accrocher aux ultimes rayons de ces chimères intemporelles.
Mais, hélas, le réveil sonne et la dure réalité impose à nouveau ses lois inflexibles : celles du temps et de la monotonie.
À la hâte notre héros quitte son lit et se dirige à pas lents dans la salle de bain contiguë à sa chambre.
Puis, il avale d'un trait son café et franchit à grands pas la porte de son studio dont le bow-window donne sur le Palais Garnier, chef-d'œuvre d'architecture éclectique.
La Place de l'Opéra est hantée par les lueurs féeriques des réverbères statiques dans l'immuable silence du matin.
François est plongé dans un décor clair-obscur, quelque peu trouble, se confondant avec la toile de ses nuits.
Sa rêverie abondante prend alors plaisir à peupler la scène des réalités d'une apparition, d'une dame fantômatique, éthérée, et qu'il a entrevue dans son rêve.
Bien qu'il soit 6h30 du matin, le disque d'or n'a pas vraiment émergé de la profonde obscurité.
Oui, le soir semble toujours régner encore avec son cortège de sérénités impénétrables et d'apparitions fantastiques.
Étrange vision d'un esprit un peu romanesque.
Son âme oscille, bascule, semblable à un pendule, entre le monde de Morphée et la réalité.
Et voilà le soleil dardant ses premières lueurs sur un Paris endormi, et notre héros se replonge dans les profondeurs de son subconscient.
Il nous fait songer à ce marin poète se laissant glisser aux abysses azurés dans l'espoir de pêcher un inestimable trésor.
À demi conscient, il tente, coûte que coûte, de rattraper ce décor onirique, sa seule et unique raison d'être. Le pouvoir de l'esprit aura-t-il la force de le relever de ses cendres à l'heure fatidique où la lumière se dévoile ?
Sans doute, quand les clartés perceront une bonne fois pour toute, le voile nocturne, la scène du fantastique théâtre imprégnée de magie et de mystère s'évanouira aussitôt et le rideau se lèvera sur ce théâtre quotidien : plein de bruits, de fureur et rêvé par un simple.
Juste vision du célèbre dramaturge Elisabéthain.
Auparavant, dans l'éternité du songe, un décor inattendu est apparu devant les yeux de l'âme : l'Opéra a émergé tout sonore.
Et voilà que, soudain, sans l'aide de l'imagination, on entend à l'intérieur de l'amphithêatre, le même air qui hantait son sommeil.
Sans crier gare, la musique se lève avec l'aurore.
Afin de s'assurer qu'il ne rêve pas, il scrute sa montre et remarque que le temps s'est arrêté.
N'a-t-il pas la curieuse impression de vivre dans un conte de fées ?
Pour en avoir le cœur net, il se dirige vers l'horloge de la gare Saint Lazare pour vérifier si elle tourne toujours.
Chose étrange : les deux aiguilles sont figées.
Et voilà, qu'un curieux phénomène se produit, elles se mettent à tourner dans l'autre sens, elles vont à reculons, puis après un long moment, elles s'immobilisent à nouveau.
Le cadran indique trois heures du matin. Subjugué, le jeune homme jette un regard à sa montre, et là, croyant rêver, il lit la même heure et une date inattendue, un peu trouble s'affiche : 1875 ? Un signe ? Un message, sans doute ?
Est-il bien éveillé ? Ou est-ce une farce du subtil metteur en scène qui se cache derrière le décor, et dont le pouvoir transcendant est de changer l'atmosphère de ce théâtre suivant son désir ou ses caprices ?
Ainsi dans son rêve éphémère, il revivait une vie révolue.
Suscitant en lui un étrange sentiment.
Perdu dans le troublant paysage onirique, il il affichait sa belle montre à gousset en or, glissée entre ses gants de soie et arborant avec fierté son haut-de-forme de gentleman.
A présent, il hante le XIXe, et ne comprend pas pourquoi il se retrouve à cette époque.
Les yeux rivés sur la date, il s'écrie :
- Mon rêve va se réaliser ! Incroyable !
Et pourtant autour de lui, le même environnement : point de calèches, des voitures seulement, point de becs de gaz, ni des lanternes à la flamme vacillante, que des lampadaires.
Bercé par la musique, et possédé par une force irrésistible, notre héros se dirige pareil à un somnambule vers le buste de Charles Garnier, non loin de la rotonde de l'Empereur surmontée d'un aigle majestueux aux ailes déployées.
Il lève les yeux, contemple les nuées du ciel qui moutonnent, s'amoncellent jusqu'à devenir une mer tumultueuse en accord avec les vibrations du Dome. Pégase et la lyre du haut du toit semblent valser.
Le soleil s'est dissipé, étranger à la magie de cette nuit, et soudain, on voit la lune éclore, pâle, fantômatique, souriante, humanisée. Elle semble l'épier et le suivre, ses rayons tracent la voie qui mène à ce Palais des songes.
Il suit les frêles clartés, et, en pénétrant à l'intérieur du monument, il est d'entrée captivé par les signes du zodiaque de la rotonde des abonnés, lesquels créent une atmosphère occulte, mystérieuse. Pas à pas, le jeune homme emprunte le grand escalier d'apparat en marbre d'Italie, fixant au passage  la statue de la Pythie: l'Oracle de Delphes et prêtresse d'Apollon.
La lueur de l'astre lunaire se fraye peu à peu un chemin à travers les fresques d'Isidore Ils représentant Apollon, Dieu de la musique, sur son char, puis déclinent pour illuminer le piano de la belle salle à l'italienne de style rococco.
Intrigué par cette lumière peu commune et cet instrument qui s'est mis en marche tout seul, car entre nous, qui pourrait bien jouer à 3 heures du matin ? il gravit les marches menant à la scène.
Une fois devant l'orchestre vide, le jeune homme aperçoit une dame distinguée au piano, blanche à l'image de la lune spectrale hantant l'obscurité. Fantômatique oui, car parée à la mode élégante du Second Empire. Elle pleure en jouant ; ses doigts fins martèlent les touches avec fureur, tantôt elle les caresse avec douceur. Elle joue la sonate au clair de lune de Beethoven.
Une forte émotion semble ébranler les dorures opulentes de l'amphithéâtre, un indicible amour s'exhale de ces beaux yeux féeriques égarés dans des souvenirs qui paraissent lointains, si lointains pour un jeune homme de notre siècle.